Vieillir ... quand on est pas chez soi.

Publié le par yakapa

Les immigrés quittent leurs pays d'origine pour d'autres horizons jeunes. voir très jeunes. La plupart gardent en tête l'espoir de revenir vieillir près des leurs. Pourtant nombre d'entre eux ne repartent pas et vieillissent loin de chez eux.

 

Les tendances démographiques majeures qui transforment les populations européennes, vieillissement de la population et immigration, ont de profondes interactions à l’origine de phénomènes nouveaux qui affectent à la fois le marché du travail et la protection sociale. Les politiques sociales et économiques européennes ne sauraient ignorer les enjeux qu’ils représentent pour les équilibres et les échanges intraeuropéens et internationaux.

En Europe, vieillissement des populations et immigration sont inextricablement liés. La chute de la natalité dans la plupart des pays européens est à l’origine de l’accroissement des flux migratoires depuis la fin du XXe siècle, transformant des pays traditionnellement d’émigration, comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal, en pays d’immigration. Avec le vieillissement des baby-boomers, les populations européennes vont continuer de vieillir et décroître à plus ou moins brève échéance - y compris la France, malgré son taux de fécondité relativement élevé (Héran, 2006). Le besoin d’immigration est donc appelé à s’intensifier, dans un marché du travail fortement marqué par ce processus de vieillissement.

Les interactions entre ces deux mouvements démographiques se traduisent par plusieurs phénomènes dont les trois principaux sont :

- l’immigration pour des emplois pour s’occuper de personnes âgées.

- les migrations de personnes âgées ou « migrations tardives » - migrations de retraite, de retour ou regroupement familial de parents d’immigrés.

- le vieillissement des immigrés.

Les besoins d’aide croissants des personnes âgées handicapées, conjugués à l’insuffisance de personnel et de proches disponibles pour y répondre, entraînent un fort développement des migrations féminines de travail dans le secteur de l’aide et des soins aux personnes âgées. Phénomène particulièrement important en Italie, où le vieillissement est l’un des plus élevés de la planète, il s’observe dans la plupart des pays d’Europe les plus riches, où la demande de personnels gérontologiques est la plus solvable. Il existe également en France, mais de façon plus cachée, compte tenu de l’absence de statistiques sur l’origine géographique du personnel des services et des institutions.

Ces migrations féminines laissent souvent de grands vides dans les familles laissées au pays. Celles-ci sont privées du soutien essentiel que représentent ces femmes pivots, même si celles-ci compensent leur absence par des envois d’argent. Les pays de l’ex-Europe de l’Est sont particulièrement concernés ainsi que les pays du Maghreb, d’Afrique et certaines régions de l’Asie. Les femmes qui s’expatrient ont souvent un bon niveau de qualification, ce qui entraîne une perte de capital humain pour le pays d’origine, cumulant les désavantages du brain drain (fuite des cerveaux) et du care drain (fuite des soins) ( Lamura et al., 2008), avec des effets parfois catastrophiques pour certaines régions déshéritées. Ces migrations ont aussi des conséquences économiques et sociales pour les pays receveurs : travail au noir, baisse du coût du travail, qualité inégale des soins, besoins liés à la formation, à l’apprentissage de la langue et au regroupement familial, et plus généralement tout ce que suppose l’accueil et l’intégration de nouvelles vagues d’immigration.

Le risque d’un déséquilibre croissant entre les pays de départ et les pays d’accueil invite à une coopération européenne pour une action concertée en vue de limiter les dégâts dans les pays de départ, comme le préconisent Lamura et al. Cela implique aussi d’inciter les politiques nationales à améliorer le système des soins de longue durée aux personnes âgées, de façon à développer l’offre de travail interne et limiter le besoin de recourir à l’immigration dans ce domaine.

Les multiples formes de migrations sont généralement différenciées selon leurs motivations (migrations pour des raisons politiques, d’emploi ou de regroupement familial) et selon leur géographie (pays de départ et d’arrivée), les flux étant mus par des forces d’attraction ou de répulsion - pull ou push.

Il faut cependant introduire un autre paramètre, rarement pris en compte, pour distinguer les types migratoires. La phase du cycle de vie dans laquelle l’expérience migratoire est vécue joue en effet un rôle. Elle peut survenir durant l’enfance (en accompagnant la famille), à l’âge des études, du premier emploi, avant ou après la vie de couple, avant ou après la naissance des enfants, au cours de la maturité, en cours ou en fin de carrière professionnelle, au moment de la retraite ou pour rejoindre des enfants adultes déjà installés au pays d’accueil. Ces trois dernières périodes, qui concernent le « milieu de la vie » ou la vieillesse (catégorie aux seuils d’âge imprécis), sont minoritaires, mais elles sont susceptibles d’augmenter avec le vieillissement de la population.

S’y ajoutent les « migrations de retour ». Elles concernent ceux qui, ayant passé tout ou partie de leur vie professionnelle en dehors de leur pays d’origine, y retournent pour une deuxième carrière ou pour y passer leur retraite. Ces migrations tardives ont en commun de concerner des personnes n’ayant pas de grandes difficultés matérielles (ou ayant un minimum de ressources économiques permettant d’échapper à la précarité). Les migrations de retraite ou les migrations de travail en pleine maturité sont généralement le fait de personnes ayant des ressources économiques, des compétences et un niveau de vie plutôt élevés. Quant au regroupement familial des ascendants, il est décidé et entrepris par les immigrés déjà installés au pays d’accueil qui bénéficient d’une situation financière leur permettant de prendre en charge leurs parents lorsque ceux-ci sont démunis.

Ces migrations tardives posent néanmoins de nouveaux problèmes aux pays d’accueil : aménagement de l’espace et des services pour faire face au vieillissement accéléré de certaines régions, dans le cas des migrations de retraite ; problèmes d’intégration des nouveaux venus, ne parlant pas la langue du pays et n’ayant pas eu l’opportunité de nouer de liens sociaux en dehors de la famille, pour les parents d’immigrés. Leur présence est néanmoins une puissante source d’enracinement pour leurs enfants (Attias-Donfut et al., 2006). La question des soins de santé et de leur couverture sociale se pose enfin pour les uns et les autres, exigeant des accords internationaux spécifiques.

L’immigration en Europe se traduit généralement par une installation permanente, malgré les incitations politiques à l’immigration temporaire. Les immigrés vieillissent donc à leur tour dans les sociétés vieillies d’Europe. La France présente à cet égard un exemple édifiant. Plus ancien pays d’immigration en Europe, il est par conséquent le premier à être confronté à la gestion de la retraite et du vieillissement d’un grand nombre d’immigrés. Une récente enquête sur les immigrés de plus de 45 ans a montré que seuls 7% des actifs en moyenne envisageaient le retour au pays pour y vivre leur retraite, ce taux variant de 2% parmi les Algériens à 10% parmi les Portugais et 17% pour les Africains (Attias-Donfut et al.). Mais la majorité reste néanmoins attachée au pays d’origine et à leur famille transnationale. En témoignent les fréquents va-et-vient et les envois d’argent au pays, les rémittences, souvent adressés aux parents.

La retraite des immigrés soulève la question de la coordination internationale des régimes de retraite, des actions d’information, des procédures de paiement, de la distribution d’ allocations. Cette coordination est d’autant plus nécessaire que nombre d’immigrés ont travaillé dans deux ou plusieurs pays et y ont acquis des droits à la retraite. La diversité des régimes, des législations et des procédures administratives, que ce soit au niveau européen ou au niveau international extra-européen, posent des défis importants aux systèmes de protection sociale. Déjà, des méthodes ouvertes de coordination sont élaborées au niveau européen pour aider les Etats providence à créer un minimum d’échanges entre eux (sans parler de l’introuvable harmonisation) tout en assurant la pérennité de leur mission sociale et en garantissant leur viabilité financière (deux exigences contenues dans le concept de sustainability).

Mais il ne suffit pas d’assurer la sécurité socio-économique par les pensions, encore faut-il offrir des opportunités de bien-être social, ou, comme l’analyse Lewin-Epstein (2007) :

- une qualité de vie sociale (social quality), impliquant également la capacité à agir sur son environnement (social empowerment).

- une vie sociale satisfaisante (social cohesion), dans et hors la famille.

- une participation sociale (social inclusion), que la position de “vieux” et d’”immigré” rend plus difficile, le monde du travail étant le principal mode d’insertion des immigrés.

Le vieillissement des immigrés représente un défi aux politiques sociales françaises et européennes. Il s’agit de penser et de mettre en œuvre la diversité dans tous les domaines de la vie sociale, conformément à l’article 13 du traité d’Amsterdam permettant de « prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge et l’orientation sexuelle ». Il reste encore beaucoup de chemin à faire pour appliquer pleinement ces principes dans l’élaboration des politiques sociales du vieillissement.

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